La plupart des villes antiques ont des récits de fondation laissant une large part à la mythologie. Si la légende de Romulus est connue ou celle de la querelle entre Athéna et Poséidon pour donner son nom à la nouvelle ville grecque qui sera Athènes, d'autres le sont moins. Vous trouverez dans cet article plusieurs récits de fondation, en français ou en langue originale avec traduction.
La fondation de Carthage
Arrivée sur la côte africaine, Élissa [autre nom de Didon] recherche l’amitié des habitants, qui se réjouissent à l’idée de faire du commerce avec ces étrangers. Elle propose d’acheter un terrain à la surface équivalente à celle que peut couvrir une peau de bœuf pour garantir un lieu de repos à ses compagnons, fatigués par une longue navigation. Elle ordonne alors de couper le cuir de la bête en bandes très étroites, ce qui lui permet d’occuper bien plus d’espace qu’elle n’avait paru en demander. De là vint ensuite le nom de Byrsa [« cuir » en grec] donné à ce lieu. Attirés par l’espoir du gain, les habitants des contrées voisines accourent en foule pour vendre leurs denrées à ces nouveaux venus et ils s’installent parmi eux ; la petite colonie prend bientôt l’aspect d’une ville. [...] Carthage est ainsi fondée.
Justin, Abrégé des histoires philippiques
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Claude Gellée dit le Lorrain Didon montrant Carthage à Énée 1676
La fondation d'Athènes
Dans le premier extrait, c’est l’épouse du roi Érechthée, petit-fils d’Érichthonios, qui prend la parole. L’oracle d’Apollon à Delphes a prévenu le couple royal que seul le sacrifice de sa fille lui permettra de remporter la guerre décisive qui approche. Le deuxième extrait, dans la chronologie de la ville est postérieur puisque Thésée devient le premier roi d'Athènes bien après ce sacrifice.
PRAXITHÉE. — Moi, je vais offrir ma fille à la mort. J’ai pour cela bien des raisons. En premier lieu, on ne saurait trouver ailleurs une ville supérieure à celle-ci. D’abord, sa population n’est pas venue de l’extérieur : nous sommes autochtones. Les autres cités, à la manière de jetons disposés sur un échiquier, sont formées d’éléments importés de toute origine. Quiconque vient d’une ville étrangère s’installer dans une autre ville, est comme une méchante cheville fichée dans une poutre : de nom, il est citoyen, de fait il ne l’est pas. Ensuite, […] la cité tout entière porte un nom unique, mais multiples sont ses habitants : comment puis-je les laisser périr, s’il m’est possible, en sacrifiant une seule vie, de permettre le salut de tous ? Euripide, Érechthée |
μὲν γὰρ ἀνεγγύω καὶ σκοτίω γενόμενοι δόξαν ἔσχον ἐκ ϑεῶν γεγονέναι, «Ἄμϕω δ’αἰχμητά, τό γε δὴ καὶ ἴδμεν ἅπαντες» 1 καὶ μετὰ τοῦ δυνατοῦ τὸ συνετὸν ἔχοντες. Πόλεων δὲ τῶν ἐπιϕανεστάτων, ὁ μὲν ἔκτισε τὴν Ῥώμην, ὁ δὲ συνῴκισε τὰς Ἀϑήνας. Ἁρπαγὴ δὲ γυναικῶν ἑκατέρῳ πρόσεστιν. Οὐδέτερος δὲ δυστυχίαν περὶ τὰ οἰκεῖα καὶ νέμεσιν ἐγγενῆ διέϕυγεν, ἀλλὰ καὶ τελευτῶντες ἀμϕότεροι λέγονται τοῖς ἑαυτῶν προσκροῦσαι πολίταις, εἴ τι τῶν ἥκιστα τραγικῶς εἰρῆσϑαι δοκούντων ὄϕελός ἐστι πρὸς ἀλήϑειαν. PLUTARQUE, Vie de Thésée Thésée semblait donc être semblable à Romulus sur bien des points. Ils étaient en effet tous les deux nés d’une union illégitime et clandestine, et passaient pour être d’origine divine : « Tous les deux de bons guerriers, cela, nous le savons tous. » et alliant la sagesse à la force. Des cités les plus illustres, l’un a fondé Rome, l’autre a uni en une même cité les Athènes. De plus, pour chacun des deux, s’est ajouté un enlèvement de femmes. Aucun des deux n’a échappé au malheur abattu sur sa maison ni aux conflits avec ses proches. Et en plus, vers la fin de leur vie, tous les deux se sont heurtés, dit-on, à leurs propres concitoyens, si du moins, on peut tirer quelque chose de vrai de tout ce qui a été raconté de moins pompeux. |
La querelle de Poséidon et Athéna
Ἔστι ἐν τῇ ἀκροπόλι ταύτῃ Ἐρεχϑέος τοῦ γηγενέος λεγομένου εἶναι νηός, ἐν τῷ ἐλαίη τε καὶ ϑάλασσα ἔνι, τὰ λόγος παρὰ Ἀϑηναίων Ποσειδέωνά τε καὶ Ἀϑηναίην ἐρίσαντας περὶ τῆς χώρης μαρτύρια ϑέσϑαι. HERODOTE, Histoire Un récit dit que, sur cette acropole, il y a un temple d’Erechtée qui est né de la terre. A l’intérieur, il y a un olivier et de (l’eau de) mer, ce qui serait, d’après les dires des Athéniens, les preuves que Poséidon et Athéna se sont disputés à propos de la région. |
Dispute de Minerve et de Neptune au sujet d'Athènes d'après Noël HALLE
La fondation de Marseille
Τὸ ὅμοιον ἱστορεῖ γενέσϑαι καὶ Ἀριστοτέλης ἐν τῇ Μασσαλιωτῶν Πολιτείᾳ γράϕων οὕτως · «Φωκαεῖς οἱ ἐν Ἰωνίᾳ ἐμπορίᾳ χρώμενοι ἔκτισαν Μασσαλίαν. Εὔξενος δὲ ὁ Φωκαεὺς Νάνῳ τῷ Βασιλεῖ (τοῦτο δ᾿ἦν αὐτῶ ὄνομα) ἦν ξένος. Οὗτος ὁ Νάνος ἐπιτελῶν γάμους τῆς ϑυγατρὸς κατὰ τύχην παραγενόμενον τὸν Εὔξενον παρακέκληκεν ἐπὶ τὴν ϑοίνην. Ὁ δὲ γάμος ἐγίγνετο τόνδε τὸν τρόπον. Ἔδει μετὰ τὸ δεῖπνον εἰσελϑοῦσαν τὴν παῖδα ϕιάλην κεκερασμένην ᾧ βούλοιτο δοῦναι τῶν παρόντων μνηστήρων · ᾧ δὲ δοίη τοῦτον εἶναι νυμϕίον · ἡ δὲ παῖς εἰσελϑοῦσα δίδωσιν εἴτε ἀπὸ τύχης εἴτε καὶ δι᾿ἄλλην τινὰ αἰτίαν τῷ Εὐξένῳ · ὄνομα δ᾿ἦν τῇ παιδὶ Πέττα. Τούτου δὲ συμπεσόντος καὶ τοῦ πατρὸς ἀξιοῦντος ὡς κατὰ ϑεὸν γενομένης τῆς δόσεως ἔχειν αὐτήν, ἔλαϐεν ὁ Εὔξενος γυναῖκα καὶ συνῴκει μεταϑέμενος τοὔνομα Ἀριστοξένην · καὶ ἔστι γένος ἐν Μασσαλίᾳ ἀπὸ τῆς ἀνϑρώπου μέχρι νῦν Πρωτιάδαι καλούμενον. Πρῶτις γὰρ ἐγένετο υἱὸς Εὐξένου καὶ τῆς Ἀριστοξένης.» ΑΤΗΕΝΕΕ de ΝΑUCRATIS, Deipnosophistes Aristote raconte la même histoire dans sa Constitution des Massaliotes. Voici ce qu’il écrit : « Les Phocéens qui faisaient du commerce en Ionie, fondèrent Marseille (Massalia). Euxène, le Phocéen, était l’hôte du roi Nanos (tel était son nom). Ce Nanos en train de célébrer les noces de sa fille, invita alors au festin Euxène qui se trouvait là par hasard. C’est ainsi que se déroulaient les mariages : il fallait qu’après le repas, la jeune fille, en entrant, aille vers celui des prétendants présents, à qui elle voulait donner une coupe de boisson coupée. Celui à qui elle donnerait la coupe, celui-là serait son époux. C’est vers Euxène que la jeune fille se dirige pour lui donner la coupe, peut-être par hasard, peut-être pour une autre raison. Son nom était Petta. A la suite de cet événement, comme le père consentait qu’il eût la jeune fille, le don ayant été fait avec l’accord de la divinité, Euxène la prit pour femme, se mit en ménage et changea son nom à elle en Aristoxène. Et il y a une famille à Marseille, issue de cette femme, et qui s’appelle encore maintenant, Prôtiades. Car Prôtis fut le fils d’Euxène et d’Aristoxène. »
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Temporibus Tarquini regis, ex Asia Phocaensium juventus ostio Tiberis invecta, amicitiam cum Romanis junxit ; inde in ultimos Galliae sinus navibus profecta, Massiliam inter Ligures et feras gentes Gallorum condidit magnasque res, sive dum armis se adversus Gallicam feritatem tuentur, sive dum ultro lacesserunt, a quibus fuerant antea lacessiti, gesserunt. Namque Phocaenses, exiguitate ac macie terrae coacti studiosius mare quam terras exercuere ; piscando mercandoque, plerumque etiam latrocinio maris, quod illis temporibus gloriae habebatur, vitam tolerabant. Itaque in ultimam oceani oram procedere ausi, in sinum Gallicum ostio Rhodani amnis devenere, cujus loci amoenitate capti reversi domum, referentes quae viderant, plures sollicitavere. Duces classis Simos et Protis fuere. Itaque regem Segobrigiorum, Nannum nomine, in cujus finibus urbem condere gestiebant, amicitiam petentes conveniunt. Forte eo die occupatus in apparatum nuptiarum Gyptis filiae erat, quam more gentis, electo inter epulas genero, nuptum tradere illic parabat. Itaque cum ad nuptias invitati omnes proci essent, rogantur etiam Graeci hospites ad convivium. Introducta deinde virgo cum juberetur a patre aquam porrigere ei, quem virum eligeret tum omissis omnibus, ad Graecos conversa aquam Proti porrigit, qui factus ex hospite gener locum condendae urbis a socero accepit. Condita igitur Massilia est prope ostia Rhodani amnis in remoto sinu, velut in angulo maris. Sed Ligures, incrementis urbis invidentes, Graecos adsiduis bellis fatigabant, qui pericula propulsando in tantum enituerunt ut, victis hostibus, in captivis agris multas colonias constituerint. JUSTIN, Abrégé des Histoires Philippiques A l’époque du roi Tarquin, de jeunes Phocéens, qui, venus d’Asie, arrivaient à l’embouchure du Tibre, se lièrent d’amitié avec les Romains ; de là, ils s’embarquèrent vers les golfes les plus reculés de la Gaule, fondèrent Marseille entre les Ligures et des peuples barbares de Gaulois et accomplirent de grands exploits1 , soit en se défendant de la barbarie gauloise par les armes, soit en provoquant eux-mêmes ceux qui les avaient provoqués auparavant. En effet, les Phocéens, forcés par l’exiguïté et la pauvreté de la terre, exploitaient avec plus d’ardeur la mer que les terres. C’est en pêchant et en faisant du commerce, et même, la plupart du temps de la piraterie, qui passait en ce temps-là pour un fait de gloire, qu’ils rendaient leur vie supportable. C’est pourquoi, ayant osé s’avancer jusqu’au fin fond de l’océan, ils arrivèrent dans un golfe gaulois, à l’embouchure du Rhône. Séduits par le charme de ce lieu, une fois rentrés chez eux, ils rapportèrent ce qu’ils avaient vu, et sollicitèrent des renforts. Les chefs de la flotte furent Simos et Protis. C’est ainsi qu’ils vont trouver le roi des Ségobriges, nommé Nannus, sur le territoire duquel ils avaient l’intention de fonder leur ville, pour lui proposer une alliance amicale. Il se trouvait que le roi, ce jour-là, était occupé à la préparation des noces de sa fille Gyptis, que, selon la coutume de ce peuple, il se préparait à donner en mariage au gendre qu’elle aurait choisi pendant le repas. Comme tous les prétendants avaient été invités aux noces, on convie aussi les Grecs au banquet, en tant qu’invités. Puis, la jeune fille fut amenée et suivant l’ordre de son père de servir de l’eau à celui qu’elle choisirait pour mari, ignorant alors tout le monde, elle se tourna vers les Grecs et servit de l’eau à Protis qui d’hôte devint gendre et reçut de son beau-père une terre pour fonder une ville. Marseille fut donc fondée, près de l’embouchure du Rhône, dans un golfe retiré, qui ressemblait à un repli de la mer. Mais les Ligures, jaloux de l’expansion de la ville, harcelaient les Grecs de guerres incessantes ; et ceux-ci, en repoussant les dangers, se distinguèrent tellement, qu’une fois les ennemis vaincus, ils fondèrent de nombreuses colonies sur les terres confisquées. |
Joanny Rave Les noces de Protis et Gyptis.
La fondation d'Alexandrie
Si le récit que font les Alexandrins, sur la foi d’Héraclide, est vrai, il paraît qu’Homère ne fut pas inutile à Alexandre dans cette expédition, et qu’il prit même conseil de ce poète. Après avoir conquis l’Égypte, disent-ils, il forma le dessein d’y bâtir une grande ville, de la peupler de Grecs, et de lui donner son nom. Déjà, sur l’avis des architectes, il en avait mesuré et tracé l’enceinte, lorsque la nuit, pendant qu’il dormait, il eut un rêve étonnant. Il crut voir un vieillard aux cheveux très blancs et qui paraissait chargé d’années, qui, s’approchant de lui, prononça ces vers épiques : Puis, au sein du flot agité de la mer est une île, en avant de l’Égypte : on la nomme Pharos. Aussitôt il se lève, et va voir cette île de Pharos, qui alors était un peu au-dessus de l’embouchure du Nil près de Canope, et qui aujourd’hui tient au continent par une chaussée qu’on y a construite. Il admira la position de cette île, qui, semblable à un isthme, est de la forme d’une langue de terre plus longue que large, et qui, séparant de la mer un étang considérable, se termine en un grand port. Il dit qu’Homère, admirable en tout, était aussi un habile architecte; et il ordonna qu’on traçât un plan de la nouvelle ville, conforme à la position du lieu. Comme les architectes n’avaient pas de craie, ils prirent de la farine, et tracèrent sur le terrain, dont la couleur est noirâtre, une enceinte en forme de croissant, dont les bases droites et de grandeur égale renfermaient tout l’espace compris dans cette enceinte, semblable à un manteau macédonien, qui va en se rétrécissant. Le roi considérait ce plan avec plaisir, lorsque tout a coup un nombre infini de grands oiseaux de toute espèce vinrent fondre comme des nuées sur cette enceinte, et mangèrent toute la farine. Alexandre était troublé de ce prodige ; mais les devins le rassurèrent, en lui disant que la ville qu’il bâtirait serait abondante en toutes sortes de fruits, et nourrirait un grand nombre d’habitants divers ; il ordonna donc aux architectes de commencer sur-le-champ l’ouvrage. Plutarque, Vies d'Alexandre |
Placido Costanzi, Alexandre fondant Alexandrie
La fondation de Rome
Deinde Romulus et Remus urbem in iisdem locis ubi expositi educatique fuerant condiderunt ; sed orta est inter eos contentio uter nomen novae urbi daret, eamque regeret ; adhibuere auspicia. Remus prior sex vultures, Romulus postea, sed duodecim, vidit. Sic Romulus augurio victor Romam vocavit ; et ut eam prius legibus quam moenibus muniret, edixit ne quis vallum transiliret. Quod Remus irridens transilivit ; eum iratus Romulus interfecit, his increpans verbis : « Sic deinceps malo afficiatur quicumque transiliret moenia mea. » Ita solus potitus est imperio Romulus. LHOMOND, De viris illustribus Ensuite, Romulus et Rémus fondèrent une ville à l’endroit même où ils avaient été exposés et éduqués. Mais naquit entre les deux jeunes gens une rivalité pour savoir quel nom donner à la ville nouvelle et qui la dirigerait. Ils eurent recours aux auspices. C’est Rémus qui, le premier, vit des vautours, et seulement après Romulus, mais l’un en vit six et l’autre douze. C’est ainsi que Romulus, vainqueur par l’augure, nomma la ville Rome. Et, pour la protéger par des remparts avant de la protéger par des lois, il interdit à quiconque de franchir le fossé. Se moquant de cette défense, Rémus le franchit. Romulus, en colère, le tua en proférant ces paroles : « Qu’ainsi subisse ce châtiment quiconque après lui franchira mes murs. » C’est de cette façon que tout seul, Romulus s’empara du pouvoir. |